Crocker 1000 1940
Rivale de Harley et IndianA la fin des années 40, Al Crocker osa se frotter à Harley-Davidson et Indian en réalisant la 1000 Crocker. Présentation d'une moto américaine bien rare sous nos cieux.
Dale Walksler, au guidon de sa 1000 Crocker, remonte la file de Harley sur Main Street, à Daytona. Dans la
foule, quelqu'un s'exclame : « Cette moto devrait être dans un musée et non sur la route ! » Il est vrai
qu'avec moins de 100 bicylindres Crocker fabriqués durant les six ans de production, et seulement 49
"survivants", cette personne n'a pas tort. Mais une moto est avant tout faite pour rouler. Quoi qu'il en soit,
Dale peut l'exposer dans un musée quand bon lui semble, et la Bike Week de Daytona semble l'endroit idéal
pour montrer ce genre de rareté.
Harley contre CrockerAlors que les USA connaissaient la Grande Dépression, Harley-Davidson, persuadé d'avoir un rapide retour
sur investissement, était déterminé à introduire un nouveau moteur culbuté, le Knucklehead de 1000 cm'. La
production en série du Big Twin EL démarra donc en janvier 1936. Ce pari audacieux remporta un franc
succès puisque dès la première année 1 678 unités furent vendues. La nouvelle Harley était superbe avec
sa peinture deux tons et son style Art Déco. Mais la nouvelle élue n'allait pas le rester bien longtemps devant
la "petite bombe" que concoctait un jeune constructeur de Los Angeles, Al Crocker.
Alors que la HD 1000 EL avait en fait un nouveau haut-moteur sur un vieux bas-moteur d'une mécanique à
soupapes latérales, la 1000 Crocker était extrapolée d'un racer de speedway.
Moteur et cadreLe premier moteur, estampillé 36-61-1X, indiquait l'année (1936), la cylindrée (61 cubic inches, soit 999 cm3)
et le numéro de moteur (soit le 1X, un expérimental). Quant au cadre, rigide en tubes brasés, il répondait
aux standards américains de l'époque. Mais ce qui ne sautait pas tout de suite aux yeux, c'était que la partie
arrière du cadre était boulonnée sur le car-ter de la boîte de vitesses. Conséquence, la mécanique participait
à la rigidité de la partie-cycle. Les pignons de la boîte étaient de taille imposante avec une surface de
contact double de celle d'une Harley ou d'une Indian. L'embrayage était lui aussi solidement réalisé avec 12
disques en acier et un seul gros ressort. Un tendeur Weller réglait la tension de la quadruple chaîne
primaire. Vraisemblablement, Crocker ne tenait pas à ce que ses clients rencontrent des soucis.
Le réservoir d'essence, initialement de 8,50 litres, passa en 1940 à 13 litres. Le système de lubrification fut
également changé, après avoir découvert qu'une seule pompe ne suffisait pas : l'huile restait dans le carter
et forçait sur tous les joints. Le nouveau système était donc doté de deux pompes : l'une pour lubrifier les
portées de vilebrequin, le cylindre arrière et la culbuterie, et l'autre, plus grosse, pour le retour.
Enfin, la nacelle du compteur de vitesses, la boite à outils, les flasques de freins, les repose-pieds, le
couvercle du générateur ainsi que celui de la boîte de vitesses, et même le réservoir d'essence étaient en
alliage coulé.
Poids plumeAvec 28 kg de moins que la EL, tout en bénéficiant de 13 chevaux supplémentaires, la Crocker faisait "poids
plume" sur le marché américain, sans oublier son "look" d'enfer. La moto paraissait plus basse, plus légère,
plus fine que n'importe quelle Harley ou Indian. Le garde-boue arrière était raccourci et le guidon plus en
arrière. En revanche, alors qu'il fallait compter 380 $ pour une EL, la Crocker valait entre 500 et 650 $ selon
les options.
Autant dire que les patrons des deux marques de Milwaukee n'étaient pas des plus heureux. Pour la petite
histoire, la première Crocker fut saisie par un tribunal pour inspecter si aucune pièce Harley n'était utilisée.
Comme le moteur était 100 % Crocker, Harley conseilla à Budd et Kelsey-Hayes, les manufacturiers de
pneumatiques, d'arrêter d'approvisionner Crocker, s'ils ne voulaient pas perdre leur contrat avec Milwaukee.
Heureusement que Crocker avait des amis à Springfield qui le dépannèrent par le biais d'un concessionnaire
Indian local.
Passé maître dans la fonderie d'aluminium, Al Crocker utilisait Cette technique pour de nombreuses pièces comme, par
exemple le réservoir de ses motos.
Le moteur Cocker de 100 cm3 est à
soupapes en tête commandées par
tiges et culbuteurs. C'est un moteur
léger, 100% original et qui ne doit pas
rien à ses concurrents Indian et
Harley.
Grand choixComme la Crocker était une moto artisanale, les acheteurs pouvaient choisir la couleur, les parties à peindre
ou à chromer, le type de selle ou le rapport de transmission finale. Le moteur pouvait être réalésé jusqu'à
1475 cm3, tandis que le taux de compression pouvait osciller de 7,5 à 1 et 8,5 à 1 pour une utilisation
routière, et pouvait aller jusqu'à 12 à 1 pour un modèle tournant à l'alcool. Plus tard, le moteur fut doté de
soupapes en tête parallèles et d'une culasse avec une zone de squish.
La Crocker n° 4 fut vendue à un étudiant californien qui participa au festival de vitesse annuel sur le lac
Muroc Dry (qui fait maintenant partie de la base aérienne d'Edwards) en avril 1937. Il atteignit 176 km/h avec
une boîte de vitesses standard, faisant un "pied de nez" aux Harley et Indian. Puis, avec un plus petit pignon
de sortie de boîte, la Crocker atteignit 192 km/h. La vitesse moyenne de toutes les Crocker de 1000 cm3 à
Murroc était de 30 km/h supérieure à celle des Harley EL et Indian Chief. Un modèle spécialement préparé
fut même chronométré à 205 km/h. L'humiliation dura pendant deux ans.
Dale Wallsler prend énormément de plaisir à piloter sa 1000 Crocker, à la fois plus puissante et plus légère qu'une
Harley ou Indian de la même époque
RévélationMais revenons à la Crocker de 1940 bleue et crème de Dale Walksler. Réputée difficile à démarrer, cette
moto est une révélation puisqu'un seul coup de kick suffit, après avoir positionné la magnéto sur plein retard.
"C'est Johnny Eagles à Los Angeles qui a reconstruit le moteur, dit Dale. Il a changé le carburateur Schebler
d'origine pour un Linkert M5 emprunté à une Harley et maintenant elle tourne comme une horloge».
Le carter frappé "40-61-113" signifie qu'il s'agit d'une moto de 1940 de 61 cubic inches (soit 1000 cm3), n°
113. La numérotation ne suit pas un ordre logique, probablement pour cacher les petits volumes de
production. Comme il n'y a pas de marché de pièces Crocker, Dale a opté pour un klaxon, un contacteur
d'allumage et un ampèremètre d'origine Indian. La magnéto et la dynamo Auto-Lite entraînée par pignons,
ainsi que le régulateur sont d'origine.
La fourche à parallélogramme dispense de grands coups de raquette, alors que le double ressort essaye de
vous faire passer par-dessus les bosses. Dale serre très fort les vis de précontrainte des amortisseurs à
friction afin de minimiser ces réactions. la selle Pearson King Comfort bien suspendue est appréciable sur
les mauvaises routes. « A cause de son petit empattement, la conduite est difficile car la moto se dandine »,
précise Dale.
Les changements de vitesses sont faciles, surtout si, comme Dale, on sait utiliser l'embrayage au pied. La
première est utilisable jusqu'à 50 km/h, la seconde propulse l'engin à un bon 100 km/h alors que la
quatrième permet d'atteindre plus de 160 km/h.
« Ma Crocker laisse toujours derrière elle une Harley de 1000 cm' ou une lndian de 1200 cm' standard sans
aucun problème », ajoute Dale. Jusqu'à bien sûr la panne d'essence ! La consommation importante peut
descendre à 11,3 litres aux 100 à allure modérée, ce qui signifie un plein tout les 120 bornes tout de même.
Avec la police omniprésente en Floride, Dale se contente d'une vitesse de croisière de 110 km/h, avec la
poignée des gaz à peine entrouverte. Il a l'air d'apprécier.
Finalement, on peut se poser la question suivante : si cc V-twin original était une si bonne moto, pourquoi
Harley vient de fêter son centenaire alors que la Crocker a été relélguée dans les livres d'histoire ? En fait
des erreurs ont été commises commises avec le moteur culbuté. Le dessin de la culasse a été modifié par
trois fois, sans pour autant solutionner les problèmes, ce qui a fini par anéantir l'avenir de Crocker.
AL CROCKER DE L.A.
Ancien concessionnaire Indian, Albert G. Crocker est sur-tout connu pour ses motos de
speedway. Dans son atelier de 55 m' de Long Beach, à Los Angeles, il réalisa son propre
racer à moteur culbuté de 500 cm', cadre compris, avec le-quel, le 11 novembre 1933,
Cordy Milne prit neuf départs sur douze et son frère, Jack, quatre. Moins d'une cinquantaine
d'unités, dont certaines dotées de moteurs Jap, furent conçues jusqu'à la fin 1934.
Peu après, Al Crocker emménagea au 1346 Venice Boulevard avec une fonderie en arrièreboutique.
Ainsi, il put se mettre à l'alliage coulé, alors que les autres constructeurs en
étaient encore à l'acier forgé.
En transformant des soupapes culbutées pour Indian Chief et Scout, il se lia d'amitié avec le
designer Paul Bigsby, avec lequel il s'associa en 1936 pour concevoir une moto de route
aussi performante qu'une Harley ou une Indian, la 1000 Crocker.
Après l'épisode de Pearl Harbour et l'attaque japonaise du 7 décembre 1941, l'industrie
américaine se redressa grâce à la forte demande en avions et bateaux pour les forces
armées. Al Crocker arrêta donc la moto pour fabriquer des pièces de précision destinées
aux avions Douglas. Quant à Paul Bigsby, il fonda Bigsby Guitars et, en 1947, réalisa l'une
des premières guitares électriques "solid body" (sans caisse de résonance) pour le chanteur
de country Merle Travis, soit trois ans avant la Fender Esquire dont dérive la fameuse
Telecaster toujours en production. Le vibrato Bigsby "Vibrola", devenu le "Whammy Bar", est
toujours fabriqué par Gretsch et équipe de série ou en option de nombreuses guitares
Gretsch, Gibson ou encore Epiphone (entre autres).
FICHE TECHNIQUE 1000 CROCKER 1940MOTEUR — Bicylindre en V culbuté de 999 cm' (76 x 90 mm) à culasses hémisphériques et
comprimé à 7 à 1. 53 ch.1 carburateur Linkert M5. Allumage par magnéto Edison Spiltdorf.
Lubrification par 2 pompes à huile. Transmission primaire par chaîne quadruple, secondaire
par chaîne. Embrayage au pied type Indian. Boîte de vitesses à 4 rapports.
PARTIE-CYCLE — Cadre simple-berceau interrompu en tubes d'acier brasés avec moteur
porteur. Suspension avant par fourche à parallélogramme et arrière rigide. 2 freins à
tambour simple-came. Réservoir de 13 litres. 256 kg pour plus de 190 km/h.
Source : Motolégende N°146 mai 2004