TRIFIELD 500Coeur de Daytona
Trifield 500La moto de Muriel, construite à grand renfort de genie par son homme, est un Café Racer pur jus sur une base Enfield mariée à un moteur 500 Daytona Triumph
So little bikes, so little girls and so little time*... Une maxime que médite de longue date le constructeur de cette machine, à mi-chemin entre le Café Racer radical et l'objet féminin par excellence. Sa propriétaire, Muriel, est membre du Triton Club de France, une instance incontournable du monde des anglaises (les motos bien sûr). Elle n'aime que les motos légères et basses, et ne conçoit pas de rouler sur un engin sans saveur ni odeur. Usant des arguments les plus convaincants auprès de son mécani¬cien de mari, lui aussi membre éminent de cette confrérie étrange et sympathique du TCF, elle a rêvé une moto à ses dimen¬sions et son homme, habile et expérimenté, la lui a construite. Ça commence comme un roman de gare mais ça se poursuit comme un road-movie américain. Car en plus d'être jolie comme tout, cette Trifield (Triumph-Enfield) est un boulet de canon.
Café racer pur jusDans la mouvance Café Racer, une constante domine : faire montre de son savoir-faire. Si au passage vous arrivez à construire une moto en détournant un maximum de pièces pas forcément prévues pour vivre ensemble, vous approchez du Saint Graal. Louis ne s'est donc privé d'aucune audace pour réaliser cette moto unique et pensée sur-mesure. La Trifield mélange allègrement les pièces de prove¬nances diverses, anglaises pour la plupart mais aussi italiennes. Le cadre est prélevé sur une 250 Royal Enfield Continental GT, une machine commercialisée à la fin des années 60 et ressemblant beaucoup aux monocylindres Ducati de sport. C'est un simple berceau ouvert sous le moteur et la première prouesse de Louis a été de caser la mécanique Triumph bicylindre dedans. Il a fallu réaliser les platines de fixations dans un alu microbillé de belle épaisseur et ensuite les ajuster à la main (Louis n'a pas de machine-outils). Quelques renforts, tout autant judicieux qu'indis¬pensables, ont été installés à différents endroits du cadre. Le moteur Enfield étant à carter humide il n'y avait donc pas de réservoir d'huile prévu, ni d'em¬placement. L'idée de souder ensemble deux couvercles de boîte à outils de Royal Enfield et de les installer en bonne place sous la selle derrière le moteur, comme sur une Daytona d'origine, s'est imposée d'elle-même. Louis précise à ce sujet: « C'est impeccable car le bac contient 4,5 litres d'huile, c'est ce qu'il faut pour une lubrification idéale. » Concernant la partie-cycle, le bras oscillant d'origine a été conservé et renforcé. Il guide une superbe jante Akront à épaulement cen¬tral en 16 pouces de diamètre, accueillant un pneu de 120 mm de large. A l'avant on trouve une fourche italienne chipée sur une Guzzi V50 et les tés de même provenance. La colonne de direction a été adaptée au cadre. Le moyeu avant conique vient d'une Bonneville 650, il a été fraisé en épaisseur pour pouvoir se loger entre les fourreaux de fourche et il supporte un frein avant Triumph double came et une jante Akront à flancs épaulés de 18 pouces de diamètre. Pour le poste de pilotage, un guidon racing style multiposition tient compagnie à deux jolis compteurs anglais installés dans des cerclages métalliques superbes. Un petit phare de Ducati, soutenu par des pattes maison très discrètes complète le tableau. Le réservoir provient d'une T 100 R et le jonc métallique qui rehausse les deux tons de gris a été fabriqué dans un tube d'alu formé à la main. Du boulot d'artiste, tout comme la peinture gris argent avec "scallops" gris anthracite réalisée aux ateliers Carmouche, à Saint-Ouen. La selle monoplace, fabriquée par un sellier de la bande de professionnels que Louis côtoie à chaque instant, hérite d'un dosseret réalisé dans un réflecteur de candélabre d'éclairage public récupéré dans les gravats. « C'est en alu, ça avait à peu près la forme qu'il fallait, je l'ai recyclé. C'est du pur esprit débrouille et ce sont les Britons qui nous ont inculqué cette démarche. A l'époque, des trans¬formations comme celle-ci il y en avait des tas et elles étaient bien acceptées par les autorités et roulaient chaque jour en Angleterre... », précise Louis. Trois discrètes vis affleurantes le solidarise au bâti et un feu arrière style Lucas peaufine une poupe extrêmement fine et élégante.
Mécanique optimiséeOn parle un peu mécanique avec le constructeur et il nous précise: « J'ai refait deux fois ce moteur. La première fois, il était impeccable, en cote d'ori¬gine et j'avais tout remonté bien propre. J'avais changé les vis de bielles pour des neuves qu'un escroc d'Anglais faisait fabriquer à Taïwan dans de l'acier à ferrer les ânes. On a pris le moteur dans la g... au bout de six mois. Muriel a eu une casse moteur en courbe à 140 km/h avec les conséquences qui s'ensuivent. J'ai tout repris en me jurant bien que si un jour je recroisais ce type... Bref j'ai eu pas mal de difficultés pour trouver les pièces. J'ai un bon réseau et avec de la patience j'ai retrouvé un bloc-cylindre en cote d'origine, un vilebrequin, des carters moteurs. A l'intérieur j'ai monté quelques bonnes pièces comme des arbres à cames racing, des soupapes Black Diamond et des pistons haute compression. Je l'ai aussi légèrement décomprimé et fait un travail sur la culasse. Après un temps fou à réunir les pièces j'ai pu remonter tout ça. Au total, il doit bien y avoir 250 heu¬res de boulot, et encore, je suis sûr que j'en oublie... Concernant les carbus j'ai mis des Dell' Orto de 28 mm de diamètre, ils sont bien meilleurs que les Amal d'ori¬gine. Il a juste fallu adapter les pipes d'admission en caoutchouc. Les filtres à air sont d'origine Triumph et les méga¬phones ainsi que les sorties courbées en arrière sont de l'after-market anglais. Pour la finition noire des carters moteur ou des silencieux d'échappements c'est de la peinture epoxy. Les tubes de sorties sont peints en noir haute température. J'ai finalisé un freinage efficace en ins¬tallant des leviers à long débattement, un gros câble et des biellettes plus longues de 20 mm. Comme ça ma petite femme, qui a aussi des petites mains et pas trop de force, peut s'arrêter sans faire d'ef¬fort. Bon, la mignonne n'a pas démarré depuis quelque temps, il faut que je m'y mette". Après quelques coups de kick mais sans l'inévitable séance de satura¬tion des carbus (le fameux titillage !),
Louis fait rugir le twin qui tient immé¬diatement un ralenti sourd et syncopé. Le son est rond, agréable et pas infernal, au contraire. Le bloc prend des tours allègrement et il "sonne clair" comme on dit souvent.
Sono d’enferJe constate combien la machine paraît toute petite lorsque Louis y pose son bon 1,80 m et son homogénéité quand c'est Muriel qui passe aux commandes. Quant à moi, je trouve l'étroitesse et la légèreté de cette moto tout à fait réjouis¬sante. Louis me précise : « Je n'ai pas pesé la machine avec l'essence et l'huile, mais on doit être à 125, 130 kilos à tout casser. C'est ce qui la rend si vive et agréable avec en plus un empattement vraiment réduit. » On confirme bien vite tout ça pendant la séance de photos durant laquelle les accélérations et les freinages nous ont émoustillés. Elle part fort et sur-tout freine court, la position de conduite sportive mais pas trop radicale aidant, la machine se livre avec une facilité décon¬certante une fois remis en mémoire le fonctionnement de la boîte quatre vitesses à sélecteur à droite. Ludique et en même temps précise et performante, elle n'est pas loin de l'idéal cette Trifield.
La moto qu’il me fautD'ailleurs, c'est Muriel, sa propriétaire enamourée, qui aura le mot de conclu¬sion: « Je ne veux plus rouler sur rien d'autre. J'avais une Harley Sportster pendant un moment, quand celle-ci était en réparation après la casse du moteur, et franchement elle était trop lourde et trop haute pour moi. Je veux me sentir à l'aise sur ma moto et avec celle-ci je ne fais que profiter des sen¬sations sans jamais m'angoisser pour faire une manœuvre à l'arrêt ou rouler à petite ou grande vitesse. C'est ma moto, elle est unique, elle me corres¬pond à 100% et du coup, je lui porte un amour vraiment particulier. C'est une chance d'avoir cette monture... » Comment contredire ou contester la sin¬cérité de cette déclaration, a fortiori après cette prise de contact avec une moto, dont on aurait pu rêver qu'un jour un constructeur britannique fabrique une version de série...
Source : Moto revue Classic n°52