Une autre idée du Grand TourismeBeaucoup de Shovelhead ont subi des préparations custom plus ou moins poussées et trouver une Electra Glide en état "collection" pour cet essai s'annonçait hasardeux. Nous avons relevé le défi avec brio puisque nous en avons réuni pas moins de deux, grâce à Alain et Philippe, respectivement propriétaires des millésimes 1976 et 1978.
Alliez, pour une fois, avouez-le : une Harley-Davidson Electra Glide, ça ne vous laisse pas indifférent. Campée sur ses pneus de 13 cm de largeur, tous chromes dehors, vous pouvez la trouver énorme,
excessive, frimeuse, suréquipée... N'empêche qu'elle en impose et capte votre regard ! Qu'on l'adore ou qu'on la déteste, on tombe fatalement en arrêt devant. C'est un monument, un symbole de l'Amérique, au même titre que la Cadillac ou la Statue de la Liberté.
En plus, une foule d'options viennent le plus souvent personnaliser la machine. Ainsi, si vous examinez attentivement nos deux Electra, vous constaterez qu'elles ne se distinguent pas seulement par leurs coloris, leurs roues (à rayons ou à branches) et leurs carénages, mais également par un grand nombre de détails. Des "passing lamps" aux porte-bagages de sacoches en passant par des enjoliveurs, le catalogue des accessoires de la marque est prolifique.
Si une Electra impressionne déjà à l'arrêt, vous pensez bien que l'on n'en prend pas le guidon sans une certaine appréhension. Pour moi, l'expérience a commencé par un demi-tour sur une petite route de campagne, sous l'oeil mi-confiant, mi-inquiet, de son propriétaire. Bon, reprenons au début. Barillet de contact au centre du réservoir. Deux crans vers la droite pour actionner en même temps l'inter-rupteur général d'éclairage. Une pression sur le bouton de démarreur électrique, le moteur s'ébroue instantanément dans un bruit sympathique, à la fois placide et peu filtré. Je note en revanche qu'il émet très peu de bruits mécaniques, un bienfait des poussoirs hydrauliques très certainement. Les vitesses ? Normalisées ! Première en bas à gauche. Ça claque au passage du premier rapport, mais l'embrayage fait preuve d'une extrême douceur grâce au mécanisme extérieur chargé de démultiplier l'effort à fournir. En conséquence, la moto s'arrache à l'immobilité en douceur.
Première classeEt ce demi-tour ? Minute, j'y reviens. Surprenant, en fait ! Bien sûr, la machine est lourde (350 kg à sec dont 75 rien que pour le moteur !) et j'aborde l'épreuve avec beaucoup de prudence, mais l'Electra n'est pas très haute de selle et,surtout, son centre de gravité est placé très bas. Du coup, elle s'avère beaucoup plus abordable qu'une 1300 Kawasaki, par exemple. A peine en mouvement, elle se manoeuvre sans réelles difficultés et accepte d'avancer au pas, en parfait équilibre, sur un mini filet de gaz.
J'enclenche le second rapport, ça claque toujours. La course du sélecteur est longue mais, avec le double-branche qui permet de monter les rapports avec le talon, cela n'a aucune importance. Buste droit, plantes de pieds posées bien à plat sur les accueillants marchepieds, jamais l'expression "comme dans un fauteuil" ne m'a semblé mieux adaptée. Sans pousser aucun rapport, je me retrouve vite à 80 km/h, vitesse à laquelle j'enclenche le quatrième et dernier rapport. A partir de là, plus besoin de toucher à la boîte. Même à la sortie d'un virage serré avalé à 50 km/h, il suffit d'ouvrir gentiment les gaz. Le moteur, disponible et très coupleux, délivre une sensation de coffre très agréable. Il n'y a pas de compte-tours mais je me demande à quoi il servirait tant il est inutile de pousser les régimes.
Au guidon d'une Harley Shovel, oubliez tout, hormis votre expérience des vieilles mécaniques. Ce n'est pas elle qui s'adaptera au pilote mais l'inverse. N'oubliez pas que le gros twin est monté rigide dans le cadre. Son fonctionnement se caractérise par des paliers vibratoires. Il faudra éviter, par exemple, de rouler à 90 km/h, plutôt un poil en dessous ou au-dessus. A 3 km/h près, vous trouverez le bon régime. L'un des plaisirs de rouler en Shovel se situe là, dans le fait de composer en permanence avec la mécanique, de répondre à ses moindres désirs.
PaisibleLa vitesse, ce n'est pas son truc. 110, 115 km/h représente une vitesse de croisière maximale envisageable. Philippe a d'ailleurs monté sur sa machine une couronne de 48 dents pour tirer encore un peu plus long que l'origine. Lancée à 100 km/h, son Electra tourne à 3 000 tr/min, pas davantage. L'Electra ne revendique aucune prétention sportive et sa philosophie est calquée sur celle des grosses berlines américaines. Elle réclame une conduite apaisée. Mais qui aurait envie d'attaquer au guidon d'un tel mastodonte ? Comme le dit Philippe, il existe suffisamment de choix alternatifs sur le marché pour ne pas se tromper en optant pour une Electra.
En Harley, on adopte donc un train de sénateur et on profite du confort, réellement excellent. Le mérite en revient à la position de conduite, décontractée, mais sur-tout à la selle montée sur amortisseur. Sans doute un peu courte pour le duo, elle permet au pilote seul de se reculer à son gré. De son côté, la fourche remplit bien son office et le guidon, monté souple, filtre efficacement les vibrations. Alain possède aussi une Fat Bob à moteur Evolution, mais, pour effectuer de longs parcours, il lui préfère toujours son Electra !
En virage, l'impression est curieuse avec ces gros pneus à profil très rond. Avec le grand guidon, la machine s'incline sans effort mais se montre imprécise et ne m'incite vraiment pas à forcer mon talent. Anticiper devient vite un impératif, particulièrement en ce qui concerne le freinage. Le disque avant à commande hydraulique est un aimable ralentisseur, sans aucun mordant, et l'arrière ne vaut guère mieux. Paisible, on vous dit !
C'est pourtant à l'issue d'une expérience dépaysante comme la mienne qu'Alain, après avoir usé moult japonaises, est tombé sous le charme et s'est offert cette première Harley voici maintenant une quinzaine d'années. Alors, allez savoir si, moi aussi, je ne roulerai pas en Shovel l'an prochain !
Grand merci à Alain et Philippe de nous avoir consacré une journée en dépit d'une météo "délicate" (mention spéciale à Alain qui m'a prêté les clés de son monstre) et merci également à Seventy's Motos qui nous a lancé sur la piste de ces deux véritables passionnés d'Electra.
Merci enfin pour son accueil au Château d'Esclimont (02 37 31 15 15), à St-Symphorien-le-Château (28), qui nous a offert un cadre idéal pour ces motos d'exception
Fin première partie